Maïlys est en JOC à Colombes près de Paris et travaille dans un théâtre. On lui a demandé comment elle avait vécu la crise sanitaire et où en est la situation pour le monde de la culture selon elle :
Salut Maïlys, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Maïlys, je travaille comme chargée des relations avec le public depuis 4 ans dans un théâtre, qui est une scène nationale située en Ile-de-France. Une scène nationale, c’est une structure labellisée par le ministère de la culture. En fait, ce sont des établissements publics et il y en a soixante-seize en France. Ils répondent à plusieurs missions : avoir une programmation pluridisciplinaire (théâtre / opéra / danse / cirque / musique) – soutenir la création contemporaine – rendre le théâtre accessible au plus grand nombre.
Sinon, côté perso, j’habite à Colombes et j’ai 27 ans. Je suis en JOC depuis 2009. Avant la JOC, j’ai fait de l’ACE. J’ai été fédérale et présidente de fédé, et maintenant ça fait trois ans que je n’ai plus de responsabilités au niveau de la fédé et que je poursuis ma vie de jociste en équipe de RDV sur Colombes.
En quoi consiste ton travail au quotidien ?
En lien avec la programmation du lieu, je construis des projets d’éducation artistique et culturelle avec les enseignants et les artistes que nous accueillons au théâtre. Dans le cadre de ces projets, les élèves rencontrent des équipes artistiques, s’initient à une pratique artistique sur le temps scolaire tout en étant dans une démarche de création, et aiguisent leur regard de spectateur en découvrant plusieurs spectacles dans l’année au théâtre.
L’année dernière, on avait une soixantaine de classes en projet sur tout le département des Yvelines.
Qu’est-ce que la crise sanitaire a changé pour toi ?
Au premier confinement, tout a fermé y compris les établissements scolaires, cela a été très brutal. On a dû arrêter des projets en cours. Il fallait faire des bilans sur des projets inachevés. C’était frustrant pour tout le monde, tant pour les artistes, les enseignants que pour nous. Entre mars et juin 2020, j’ai eu un peu de chômage partiel et 3 semaines de congés. Malgré la période, les salaires ont été maintenus et les engagements pris avec les intermittents du spectacle et les équipes artistiques ont été honorés (rémunération, dédommagement, reports…). Cette période de confinement nous a permis d’envisager de nouvelles manières de travailler à l’échelle du service. Lorsque nos plannings le permettent, nous avons désormais une journée de télétravail par semaine.
En juin 2020, lors de la reprise, nous avons pu proposer plusieurs concerts en extérieur avant la fermeture estivale.
En septembre, lors du lancement de la nouvelle saison, on se disait qu’on sortait de la crise, qu’une nouvelle année recommençait malgré le casse-tête des jauges réduites. Nous avions tout mis en œuvre pour respecter les différentes contraintes et lorsque le couvre-feu est tombé puis la fermeture du lieu au public juste avant la Toussaint, cela a été difficile à encaisser.
Cet effet start and stop a généré des inquiétudes à plusieurs niveaux : à quel moment pourrons-nous réellement reprendre ? Après un si long moment d’arrêt, comment pourrons-nous reprendre sur le même rythme qu’auparavant ? Les spectateurs seront-ils au rendez-vous ?
Ça me fait penser au secteur de la restauration confronté à une pénurie de saisonniers notamment à cause du rythme imposé qui est trop difficile.
Cette crise aura certes accentué la partie administrative de mon travail, mais lui aura aussi donné encore plus de sens. Tout au long de l’année, nous avons pu mener des projets dans les établissements scolaires. Les protocoles étaient tellement contraignants que les projets étaient une réelle bulle d’évasion pour les élèves et les enseignants.
Où en est la situation actuellement ?
En mars 2021, on a eu l’autorisation de la préfecture pour faire quatre représentations scolaires et ensuite on a fermé de nouveau. On a rouvert le 20 mai. On a eu d’abord la possibilité d’accueillir 33% de la jauge max, puis 66% au 9 juin et enfin 100% au 1er juillet. Cet été, il y a toute une programmation en extérieur dans les Yvelines.
Pendant les périodes de fermeture, les spectateurs nous adressaient des messages chaleureux en nous disant qu’ils pensaient à nous et qu’ils avaient hâte de revenir.
Lors de la réouverture le 20 mai 2021, les spectateurs n’ont pas tout de suite remis les pieds au théâtre. Nous avons pu faire venir les élèves en projet et leurs familles. Les gens avaient envie de sortir, nous avons vécu de super soirées durant lesquelles le public n’arrêtait pas d’applaudir, c’était des moments de communion.
Comment tu vois ta situation par rapport à celle d’autres professionnels de ta branche ?
Je suis clairement chanceuse contrairement aux équipes artistiques et techniques qui ont été grandement impactées malgré la possibilité de répéter et de faire des représentations professionnelles. Depuis septembre 2020, je n’ai pas arrêté de travailler.
Pour les artistes, c’est très compliqué car les saisons ne sont pas extensibles, un lieu ne peut pas faire deux saisons en une. Certains spectacles programmés en 2019-2020 sont reportés en 2022-2023, cela fait bouchon. Ça laisse moins de place pour les artistes « émergents »… Certains spectacles qui n’ont pas pu être créés ou repérés ne pourront jamais tourner. D’autre part, certains lieux ont fermé, notamment à cause de la baisse des subventions des municipalités.
Je pense aussi aux étudiants qui sortent d’école. Quand le secteur est « quasi » à l’arrêt, c’est plus compliqué de faire des rencontres et de commencer sa vie professionnelle.
Tout le système a été mis à mal. J’ai conscience de la valeur de mon métier dans cette période qui était sombre pour beaucoup.
Qu’est-ce que tu penses qu’il aurait fallu faire ?
Il aurait fallu créer des espaces de dialogue. Le gouvernement s’est terré dans le silence pendant un long moment, laissant tout le secteur dans une grande détresse. Il a fallu attendre pour que l’année blanche des intermittents soit actée.
Par ailleurs j’ai trouvé ça absurde de fermer les lieux de culture. A mon sens, il n’y avait pas plus de risque d’aller au théâtre que d’aller à l’école. C’était un choix politique.